Zéphirin et l’Empereur Napoléon Bonaparte (parties 1 et 2)
Zéphirin et l’Empereur Napoléon Bonaparte (parties 1 et 2)

Zéphirin et l'Empereur

Cher aïeul,

Je t’écris par-delà les éthers, je ne sais si tu recevras cette bouteille jetée dans la mer du néant mais après tout, s’il n’existe ni passé ni futur comme les théoriciens du quantique le professent, tu es peut être installé dans un fauteuil, les charentaises aux pieds, espérant ne pas trop souffrir de tes vieilles blessures, souvenirs des campagnes napoléoniennes. Dans tes mains : la médaille de Sainte-Hélène, celle dite en chocolat ! Tu as 76 ans et l’Empereur est mort depuis quarante ans déjà. Ton esprit vagabonde en ce 5 mai 1861 plein de nostalgie mais te voilà doucement assoupi en train de rêver au monde étrange dans lequel vit ta lointaine petite-fille. 

Elle semble t’appeler…

Ici dans mon temps, c’est le 5 mai 2021, et quelques uns commémorent ou fêtent (on ne sait pas trop) le bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte. C’est seulement pour le décorum. Personne ne le pleure à vrai dire. De l’eau a coulé sous les ponts depuis deux cents ans et il est de bon ton de dénigrer l’Empereur à l’aune de nos critères du troisième millénaire. Sans tous ceux l’ayant suivi avec enthousiasme ou par force, Napoléon Bonaparte serait resté un obscur « petit Caporal ». Je pense à toi en ce jour si spécial aux yeux des soldats et des historiens mais bien ordinaire pour la majorité des terriens. 

Je connais quelques bribes de ta vie grâce en partie aux archives militaires. Enfant de la Révolution française, tu as grandi en croyant à un nouveau monde. Afin de le faire éclore, frère Trois-Points d’une des nombreuses loges militaires de l’époque, tu as servi la France et assuré la continuité de l’Etat sous différents régimes dont celui de la République. Tu en auras même connu deux assez vite éteintes à presque quarante quatre ans d’intervalle. Sache que la Troisième République a été instaurée dix ans après ta disparition puis est tombée elle aussi le temps d’une énième guerre avec les Prussiens. Aujourd’hui, nous en sommes à la Cinquième de République. Peu importe son « numéro », les gens de mon temps ont l’impression qu’elle a toujours été là. Il semble d’ailleurs plus efficace de désigner la France sous le nom de « la République ». Idem des valeurs qui ne sont plus universelles mais républicaines.Tu pourrais en être heureux sauf que le pays pour lequel tu t’es battu, n’existe plus.

Demain, ce sera autre chose encore car « nation » et « patrie » sont devenus des mots dangereux, ils contiennent un concept de plus en plus jugé suspect. Il faut t’avouer que la Terreur est revenue de nos jours. Les uns les autres nous nous regardons afin de vérifier si nous sommes conformes en tant que « républicains » tandis que le gouvernement du peuple par le peuple n’est toujours qu’un voeu pieux. 

Les empires se font et se défont mais la nature ayant horreur du vide, nous n’y échappons pas. Celui sous lequel je vis, a son sigle : « U.E » pour « Union européenne ». Le projet était beau et plein de promesses. Cela n’a rien d’une union en réalité mais d’un asservissement au pouvoir lointain des fonctionnaires de l’Empire. Pour faire court, c’est un assemblage de pays dits européens, (presque) tous devenus des républiques au fil du temps avec des régimes quelque peu différents mais aux conséquences « démocratiques » similaires. La fonction présidentielle en France, peut être assimilée aux prérogatives d’un Consul de de grande région chargé de mettre en oeuvre une politique décidée (en principe) de façon commune avec tous les autres « Consuls » au siège impérial. Le pouvoir est donc partout et nulle part à la fois dans l’Empire moderne. Quand il s’agit de trouver un coupable, il n’y a jamais de responsable. Ce système ingénieux a été imposé au peuple de France -pardon- de la République. Cependant il y a seize ans, lorsque son avis avait été requis officiellement, il avait dit « non » de façon légale, c’est à dire poliment en votant majoritairement contre. C’est un exemple typique du fonctionnement de l’Empire actuel. Il se pare des faux atours de la démocratie avec une perversité assumée. Les enfants à l’école apprennent désormais que l’Armée républicaine est au service de l’Union européenne. Et les valeurs universelles devenues républicaines, sont peu à peu remplacées par les « valeurs européennes », et cela sans que la France -pardon encore- la République, en tire un avantage particulier. Ces dernières sont d’ailleurs plutôt d’inspiration anglo-saxonne et commerciales. D’autant qu’à l’international, tout le monde parle Anglais, tout le monde pense Anglais, tout le monde chante Anglais, tout le monde lit Anglais… il est à noter que la perfide Albion n’a cependant pas fait allégence à l’U.E. C’est peu dire qu’on n’y comprend rien à ce jeu de dupes…

De quoi donner des aigreurs d’estomac à Napoléon Bonaparte !

Nous vivons sous l’Empire mais l’Empereur n’est pas français, tu l’auras compris. Pire ! L’U.E est contrôlée économiquement par les Germains, et c’est à vrai dire un sous-empire, un vassal d’un plus grand situé par-delà l’océan atlantique. La jeune Amérique du Nord de ton époque, devenue extrêmement puissante, est désormais la cheftaine de l’Occident, le phare éclairant nos idées jusque dans nos universités ! Comme tous les empires, il lui faudra disparaître un jour. Elle se voit maintenant contester sa suprématie par un autre Empire, celui du Milieu. Ce dernier s’est donné pour nouveau nom :  « République Populaire de Chine ». Ce mot « république » n’a jamais été si à la mode, tout comme « démocratie » et « populaire ». Ce sont bien des concepts fragiles en réalité quand le dédain vis à vis du peuple est trop banalisé. Par exemple, en Chine, un seul parti est autorisé pour sa République, il n’y a pas d’hypocrisie. 

En Occident, et particulièrement chez nous au pays des beaux parleurs, nous apprécions encore les fausses polémiques malgré un pouvoir unique se cachant sous divers partis politiques. Il me faut préciser que le droit de vote souvent exclusif et revisité en ton temps, est ouvert à tous et toutes sans conditions de richesse ou de couleur de peau dans mon présent. On pourrait s’en réjouir encore une fois ! Malheureusement son usage devient rare. Souvenir d’un droit durement acquis, désormais la démarche est seulement élégante, un symbole pour le décorum comme lors des commémorations et des célébrations. Voter est inutile en France. Le bulletin blanc n’est pas reconnu et les alliances entre courants soi-disant opposés sont légions. La boucle est bouclée quand même le Parlement n’est plus qu’une salle d’enregistrement du gouvernement ! Les débats y sont factices. 

La liberté d’expression aurait régressé en fait au même niveau qu’avant la Révolution si l’on prend du recul ! Cependant, n’est-ce pas une manipulation que de nous faire croire à sa réelle existence à un moment de notre Histoire ?  Douter d’une cocarde n’a jamais été une réussite…  

De mon temps, au prétexte que le peuple est invité à s’amuser de multiples façons, peu sont disposés à admettre que la liberté d’expression n’est qu’un doux rêve, et cela d’autant plus qu’un flot ininterrompu de paroles et d’écrits nous assomment grâce à l’invention de machines personnelles toutes en réseau, c’est à dire connectées entre elles ! Cela doit te paraître fou mais c’est ainsi dans mon futur, bourré de technologie.

Néanmoins, l’esprit critique est interdit : les messages et informations qui déplaisent, sont simplement supprimés par les machines. Quand la pensée non étatique échappe à la censure, elle croule sous les moqueries et des menaces parfois très violentes car beaucoup se croient investis d’une mission, d’une croisade à l’encontre des « indépendants ». C’est la définition moderne de la liberté et de la fraternité. Ainsi, nous courons à notre perte car la connaissance et l’innovation ne jamais sortis de la pensée conforme mais du doute et du questionnement ! Au niveau de la Science devenue une Eglise avec dogme et chapelles, c’est une grande perte dont on ne se relèvera pas si les plus médiocres s’accrochent au Pouvoir en refusant la contradiction. Sur le plan politique, s’investissent rarement des personnes avec le sens du « bien commun ». Pour la plupart, nous sommes blasés car le système ne permet pas l’essor des gens de conviction, ils sont trop rares à accéder à un quelconque pouvoir d’information ou de décision. Le peuple est un enfant qu’il faut surveiller et éduquer de façon à l’empêcher de grandir…

Toi, qu’en penserais-tu ?

Militaire de carrière, tu ne pouvais qu’apprécier l’ordre et la rigueur. Je ne t’imagine pas t’en plaindre. Toutefois l’on sait que l’Armée cherche à faire ressortir le meilleur de ses recrues et cultive un idéal que l’on ne peut trouver que dans le coeur des héros de légende. Le soldat n’est pas un cynique sinon il choisirait la carrière de philosophe. Pour partir à la guerre sans trembler, il doit s’incarner en sauveur de la patrie. Il lui faut donc des convictions. Le problème de mon époque, c’est que l’humain est volontairement invité à ne chérir qu’un but : satisfaire ses désirs les plus puérils tandis qu’en parallèle, les censeurs hypocrites le grondent et le punissent pour cela. Le système est pervers, je te le confirme. On nous maintient la tête à ras le sol pendant que la planète s’étiole. Le saccage de la terre surexploitée touche à sa fin. Il ne reste presque plus rien pour les générations futures. Pourtant, « ne pas gâcher » était une vertu essentielle de la civilisation à ses débuts. Depuis, la sottise et l’avidité ont été malheureusement élevées au rang de valeurs suprêmes. Notre société est nommée fièrement : « société de consommation » au lieu de « société du gaspillage » ou « société de la futilité ». Il faut acheter, jeter, acheter et jeter à nouveau dans un cycle sans fin. La nouvelle façon de rendre paraît-il un pays puissant, c’est de « consommer » ! « On » nous explique que c’est un devoir patriotique. Les idiots se croient dieux de l’Olympe toutefois ce sont de drôles de marchands qu tiennent véritablement les rênes de l’Empire, et guident nos « choix ». Le mépris à l’égard du peuple est assumé cyniquement ! Nous sommes les « Sans-dents ». Appelés ainsi par « notre » avant-dernier Président de la République durant son mandat, il nous faut admettre que cette pâle copie d’un chef d’Etat – contrairement à ton Empereur dont le souvenir perdure deux cents ans après sa disparition- a su trouver un qualificatif rendant compte de la réalité. En effet, nous n’avons aucun pouvoir sur notre vie, le cours des évènements. Une machoire puissante de carnassier est nécessaire pour faire peur aux dirigeants qui prennent grand soin de leurs mollets, ils se vendent au plus offrant et le peuple n’a pas les moyens de se les payer. Il n’arrive même pas à s’offrir des canines assez pointues pour se relever et attaquer l’injustice, il n’a plus rien en bouche, les frais de dentiste sont trop élevés. Le capitalisme de grand-papa n’est plus. Le « néolibéralisme l’a remplacé en le réduisant à une pulsion vertigineuse menant souvent à l’endettement pour les mieux lotis des classes populaires ; les autres survivent tant bien que mal car le salaire ne suffit pas à satisfaire les besoins dits primaires ou essentiels à mon époque. Le nanti ayant réussi « à la sueur de son front » souhaite cependant les plus grands malheurs à tous ceux que le gouvernement lui présente comme des assistés bénéficiant des aides de l’Etat. Il est assez abêti pour ne pas distinguer de vrais dysfonctionnements comme par exemple la corruption des puissants.  L’individualisme est roi mais s’organise au sein d’une meute, en communautés où chacun est appelé à détester le voisin qui en est exclu. Cette façon de « vivre sa vie », ce mot d’ordre des Empires actuels : seule une minorité en profite évidemment… On crie aussi haro sur le bourgeois et la petite entreprise sauf qu’ils n’existent plus au sens ancien et classique. Condamnée, cette nouvelle classe collabore activement avant de disparaître, au profit de grands monopoles marchands apatrides. La grandeur de la France et celle de l’Empereur, se confondaient lorsque tu combattais sous les ordres du « petit caporal », on ne peut en dire autant aujourd’hui ! Pour résumer, un consortium d’intérêts strictement privés se cache avec désinvolture sous des oripeaux étatiques, notre pays est démembré par des hyènes féroces.

Afin de nous distraire de ce qui se passe sous nos yeux, nous sont imposés de multiples problèmes à résoudre au quotidien. Je pourrai t’en raconter quelques uns dont notamment l’aspect le plus clivant de la religion ottomane  s’étalant avec facilité sur le sol de la Répoublique. C’est un paradoxe car cette dernière déteste les curés tout en favorisant une nouvelle guerre de religion. Mieux encore, la République organise l’insécurité dans le but de nous diviser sur les solutions pour la circonscrire. On en parle depuis des années. Cet enjeu récurrent des élections présidentielles permet des discussions enflammées (toujours les mêmes). Pendant ce temps, ont été inventées des machines (encore) permettant de surveiller chaque coin de rue, il y en a même qui survolent le ciel au-dessus de nos têtes. Pourtant nous voilà revenus au temps des routiers qui terrorisaient la population.  Notre technologie permet d’envoyer des engins explorer l’univers mais actuellement, il est possible de mourir pour une remarque ou pour ne pas avoir baisser les yeux à temps en signe de soumission !

Si je devais tout te raconter du quotidien, le décompte des absurdités et des trahisons, serait bien trop long. Nous sommes jetés comme des billes d’un bord à l’autre d’un terrain de jeu dont les règles sont décidées au plus haut de l’Empire. Lesquelles nous mettent en état de sidération comme pour exemple encore, l’autorisation récente de tuer les enfants viables jusqu’à la fin de la grossesse au prétexte que la femme a chèrement payé le droit légitime d’être maîtresse de son corps. Personne ou presque s’en est ému. En Droit justement, une grossesse de deux ou neuf mois, c’est pareil au même ici dans mon Présent ! L’enfant à terme est l’équivalent d’une verrue dont il est permis de se débarrasser si la future mère « décidant » de ne plus l’être, change de « projet » au dernier moment. Nul doute que dans quelques années, sa suppression sera réglementée au moins durant les deux premiers mois après l’accouchement. De grands tarés théorisent l’idée depuis longtemps. 

Tout est permis ou presque dans mon temps dit « moderne » sauf que les questions de  morale et d’éthique sont habilement mélangées. Il faudrait tout faire « sauter » ! Je ne parle pas de la liberté des moeurs enfin assumée. « On » veut en faire une bataille mais celle-ci bien légitime aussi, est gagnée déjà. Je ne sais si tu seras heureux ou pas mais venue du futur, je peux t’en dévoiler quelques bribes sur ta famille. Sache que dans quelques années, ton fils n’ayant pas obtenu de l’Armée, l’autorisation de se marier avec celle qu’il chérissait, est passé outre de belle façon. Chef d’état-major dans la Cavalerie, le chef d’escadron Pierre-Jules Godefroy Séguier, restera Lieutenant-Colonel ensuite mais en échange, il te fera deux beaux petits-enfants. Tant pis si le cercueil de leur mère décédée trop jeune, ne put entrer dans l’église ! Il est resté sur le parvis…  non mariée, la fautive ne pouvait prétendre qu’à un enterrement de troisième classe. Tout cela semble totalement ridicule aux gens de mon époque, enfin presque tous.  J’espère ne pas t’avoir choqué. Peut être même, as-tu eu le temps de connaître un peu la belle brodeuse ayant fait chavirer le coeur de ton fils… Je n’en sais rien à part qu’ils se connus chez des amis à lui. Ma grand-mère m’a racontait que celle-ci travaillait pour eux. Ses souvenirs étaient-ils fabriqués ou pas, je ne peux y répondre. En tout cas, elle ne connaissait rien de toi, et n’avait pas envie d’en savoir plus.  Notre famille ne regardant jamais en arrière, il m’a fallu partir à ta recherche dans les archives pour leur raconter un peu de ta vie. C’est parce que tu as suivi ton Empereur que je t’ai retrouvé facilement. Je t’avoue que ta descendance a écouté le récit de ton histoire uniquement pour me faire plaisir. Alain, le seul intéressé qui avait commencé bien avant moi, un travail en ce sens, avait déjà disparu . C’était mon cousin. Il est lui mort de façon tragique, très jeune en Australie, désespéré d’avoir perdu son amour à cause d’une maladie du sang foudroyante qu’on appelle « leucémie ». Nous partagions la même curiosité pour bien des domaines depuis l’enfance, nous étions les seuls de ta famille à poser des questions, il était dans l’ordre des choses que je reprenne le flambeau. Alain aurait été ravi de te voir prendre ta place sur l’arbre familial. Peut-être, te connaissait-il déjà après tout ! Je n’ai pas eu le temps d’en discuter. Ce sera pour plus tard dans une autre dimension…

Concernant tes deux petits-enfants que tu n’as pas vu grandir :  l’un (militaire) serait décédé jeune, l’une était la grand-mère de la mienne. Sortie de pension pour un mariage avec un beau parti, cela n’a pas fonctionné, elle a trouvé l’amour avec un ingénieur venu travailler à l’usine électrique de son époux, et s’est envolée, laissant comme sa propre mère : deux jeunes enfants à leur père. Sauf que le départ brusque à trente ans de cette dernière avait été causé par une maladie inconnue tandis qu’elle-même avait choisi une vie différente malgré son mariage arrangé entre « bonnes familles ». Ne voyant plus ses enfants qu’épisodiquement, elle aimait leur acheter des bijoux que sa belle-mère (propriétaire de filatures) s’empressait de leur enlever, mécontente. Aussi belle que sa maman (la compagne de ton fils), ta petite-fille à la fois fantasque et décidée à mener sa propre barque, est surtout connue à mon époque pour son goût du piano et les chansons moqueuses qu’elle composait à l’encontre de sa belle-mère . Ma grand-mère (sa propre petite-fille) en riait encore quand elle m’en parlait.

Concernant les deux enfants de ta petite-fille : 

Il y avait mon arrière grand-mère ; je l’aimais beaucoup. Elle a vécu longtemps et  a connu mon propre fils aîné. Sa vie fut beaucoup moins  agréable que celle de sa maman ! C’était une belle âme … Tiens, une anecdote ! Dans le jardin de sa maison, il y avait un gentil canard qui se prenait pour son chien. Elle l’avait sauvé de l’assiette. Je partage ce trait avec elle : je ne mange pas d’animaux et grâce à quelques piécettes économisées, j’ai, enfant, réussi à acheter deux canetons au marché. Ramenés à la maison, ils ont grandi heureux dans notre propre jardin, et souvent, ils m’accompagnaient gentiment jusqu’à la bibliothèque, quelques rues plus loin. M’attendant à la porte tout en cancanant sous le préau, ils étaient heureux de se promener en ville. Dans le quartier tranquille de l’époque, une gamine pouvait se balader sur un trottoir avec deux canards à la queue leu leu… La bibliothècaire me connaissant depuis l’âge de quatre ans, n’était pas choquée… j’imagine qu’elle devait bien me connaître au fond pour ne pas en être étonnée. Parlons plutôt de l’autre enfant de ton fils…

Il était dans le renseignement militaire lors de cette première guerre mondiale dont je t’ai parlé déjà, il fut tué jeune dans les Balkans, peu avant l’armistice. Cet épisode a été raconté dans un livre. On y fait état de son courage et de son intrépidité.  

De cet oncle qu’elle n’a pas connu, ma grand-mère en avait un souvenir erroné : attrapé par l’ennemi lorsqu’il gardait seul les chevaux, il aurait été tué après avoir refusé de dévoiler la position de ses compagnons d’arme. Mélangeait-elle avec l’histoire du grand-oncle décédé jeune aussi (frère de sa grand-mère pianiste) ? La réalité est toute autre concernant ton arrière petit-fils :  suivant l’armée ennemie après son départ d’un village, il s’est jeté ventre à terre de son cheval pour obtenir des renseignements dans une maison dont sont partis des coups de feu l’ayant alors touché mortellement. Les Allemands cachés, l’y avaient attendu.

Ton fils, son grand-père, a-t-il eu le temps de lui raconter les campagnes napoléoniennes de Zéphirin l’aïeul, survivant de la Grande Armée ? Bon sang ne saurait mentir, ce n’est pas du sang de navet qui coulait dans les veines de ton arrière petit-fils !

Tous ces sacrifices pour quel bilan ? 

« La grandeur de la France » d’aujourd’hui nécessite des missions militaires plutôt décourageantes au vu des intérêts particuliers dont il faut assurer la défense.

Actuellement, l’inquiétude devrait à mon sens, accom pagner  la voie sans issue prise par le capitalisme. Je te parle là de sa transformation au fil des siècles qui nécessiterait un gouvernement mondial selon les élites » désireuses de ne rien changer à leurs privilèges. Je m’explique cher aïeul : je n’éprouve pas sottement une colère envers les « riches ». Je sais que l’ambition des « pauvres », c’est justement de ne pas le rester, et je les comprends ! 

Je m’insurge contre le pouvoir de l’oligarchie marchande devenue plus puissante que les Etats. Elle décide des orientations du monde, en particulier de la France et des ses habitants. Sa clique d’intellectuels mondains relaient son discours et le valident.  Sache qu’aujourd’hui, un marchand a par exemple le pouvoir de se payer l’envoi d’engins de communication au-dessus de la planète, d’autres ont la capacité de définir la liberté d’expression, l’état de la science etc. Ils ont plus de pouvoir qu’un Etat. Ces marchands osent tout y compris en médecine car ils vont jusqu’à décider de son orientation. Nos corps leur appartiennent…

C’était bien la peine de faire la Révolution ! C’est bien la peine aujourd’hui de critiquer ton Empereur ou de nous baratiner avec la res republica !

Au bout du bout, le capitalisme a abouti ainsi au néolibéralisme, le système que je t’ai résumé brièvement sous le nom de « société de consommation », laquelle nécessite des alliances hors nature et des guerres agressives ou secrêtes afin de la faire perdurer. Sans le concours de la philosophie, cela n’aurait pu réussir et nous serions sur un autre chemin aujourd’hui. L’utilitarisme : un concept issu de ton temps, a dégouliné dans toutes les strates de la « société » et prospère particulièrement à l’ère de la superficiabilité des échanges avec obligation de répondre à l’attente de « l’acheteur », lequel en réalité n’est qu’une coquille vide. 

Le progrès et la régression se cotoient sans qu’il soit possible de les distinguer, et c’est à dessein que les tabous sautent au profit de la jouissance immédiate. L’introspection étant le propre de l’humain, j’ai bien peur que nous n’en soyons plus vraiment.

J’arrête là car j’ai peur que tu ne meures une deuxième fois en m’écoutant te raconter mon temps. Surtout que tu n’es pas un enfant de coeur, tout ceci était prévisible dans le tien.

En ce 5 mai 2021, les donneurs de leçon nous expliquent toutefois que le mal s’est incarné par exemple sous les traits de Napoléon 1er et nous commandent de « déconstruire notre histoire ». 

L’Histoire avec un grand H, étant faite de toutes les petites accrochées à chaque famille, j’en conclus que telle une pécheresse, je me dois de demander pardon et réclamer miséricorde pour la tienne aussi, et ce même si elle ne comprend qu’un  h minuscule.

Fin de la première partie. 

Zéphirin et l'Empereur

je réfléchis à ce que je « connais » de toi puisque tu ne peux me répondre autrement qu’en songe.

Une chose est sûre : Zéphirin, fringuant Capitaine dans la Grande Armée lors de la domination de la France sur tout le continent et plus loin encore, tu n’as pas trahi ton chef après son retour de l’Île d’Elbe où il était en disgrâce. Ta fidélité, c’est un point en moins d’après les blanches colombes d’aujourd’hui…

Durant les Cent-Jours, tu as suivi Napoléon Bonaparte sans faillir jusqu’à la victoire de la bataille de Fleurus le 16 juin 1815 où tu fus blessé d’un coup de feu au genou droit. Le surlendendemain, le cours de l’Histoire changeait avec la défaite dite de Waterloo face à la septième coalition et plus tard, le deuxième exil de l’Aigle trop loin sur un caillou perdu dans l’Atlantique Sud. Le Roi licencia ton régiment et tu te retrouvas six mois « en vacances », le temps pour Louis XVIII et ses ministres de réorganiser l’Armée dont ils se méfiaient mais ne pouvaient se passer. Je sais bien que les guerres napoléoniennes ne résument pas ta carrière. De Vélite grenadier de la Garde impériale en 1804 à chef de bataillon du 9 EME régiment d’infanterie légère sous la Monarchie de Juillet, tu as servi ton pays avec ardeur. Je sais aussi que tu as fait quinze campagnes en tout.

Tout a une fin ! Chevalier de Saint Louis depuis 1822, tu es fait officier de la Légion d’honneur en avril 1838 puis tu mets ton uniforme au placard. Moi, je remonte plus loin en arrière, je pense d’abord au 25 avril 1821 lorsque sur la place d’armes à Saint-Malo, le Baron Rapatel par délégation du Maréchal Duc de Tarente, te nommait Chevalier de la Légion d’honneur et que tu jurais « fidélité au Roi, à l’honneur et à la Patrie ».

Zéphirin-Godefroy mon aïeul, as-tu versé des larmes toutefois en apprenant la mort de Napoléon Bonaparte seulement dix jours plus tard ? Je crois que oui… Prisonnier de guerre le 9 septembre 1813 à San Sebastian (Espagne), te voilà rentré en France le 31 mai 1814 et déclaré en « inactivité » jusqu’au 19 septembre 1815 malgré la mention de ta blessure lors de « l’affaire de Fleurus le 16 juin 1815 » (sic). La lecture de tes états de service montre que l’Armée n’est pas seulement une grande muette, elle a aussi des pudeurs de jeune fille…

Tu avais 30 ans sur le terrain de Waterloo. Six ans ont passé quand tu apprends la mort de l’Empereur sur Sainte-Hélène. Qu’as-tu vraiment pensé ce jour là ? T’es-tu penché alors sur le bilan de toutes les campagnes passées et ta participation efficace au massacre perpétué par ce monstre durant les années où il était à la tête de notre pays ? N’as-tu pas cautionné l’esclavage en étant sous le commandement du tyran l’ayant rétabli ? Je t’imagine les yeux ronds devant ces mots, ces phrases puisque  ta vie, c’était la caserne ou le champ de bataille au service de ton pays, pas l’exploitation d’un champ de coton ou de canne à sucre… Tu as connu l’abolition de l’esclavage, son rétablissement puis enfin son abolition définitive. En outre, concernant la géopolitique de ton époque révolutionnaire, on oublie opportunément que ce n’est pas la France qui a attaqué en premier, tout le monde était bien soulagé d’avoir un « petit Caporal » si talentueux sous la main. 

Pardonne-moi d’avance pour toutes ces invectives ! Les trois quarts des décisions prises par nos dirigeants , ne font jamais partie de leur programme électoral toutefois il nous faut les subir sans rechigner. Sache que je te pose ces questions pour la forme, c’est obligatoire. Ici, il faut choisir son camp et ça urge : célébrer le fin stratège, admirer le génie militaire de l’Empereur ou le détester et le jeter aux oubliettes de l’Histoire pour avoir permis à nouveau le travail forcé d’hommes, de femmes et d’enfants, souvent tombés sous les coups de leurs « propriétaires », cela sans compter tous les morts jonchant le chemin de ses conquêtes militaires !

Malheureusement, des enfants naissent encore esclaves actuellement dans quelques pays. Seul l’Occident a supprimé totalement l’esclavagisme de manière non ambigüe. Concernant la France, Napoléon Bonaparte était déjà mort au loin sur une île battue par les vagues. Il est bien dommage cependant d’avoir offert une indemnisation à ceux ayant « perdu » leur main-d’oeuvre gratuite plutôt qu’aux malheureux envoyés en Enfer sur les terres lointaines dans le but de les faire travailler telles des bêtes de somme. Les têtes couronnées changent, les mentalités aussi toutefois le cas de conscience entraîne toujours une réponse « morale » identique de la part du monde de l’argent. 

De même, les conflits n’ont pas cessé et les morts jonchent encore le chemin de bien des pays aujourd’hui. La seule différence notable, c’est que chacun prétend se donner une légitimité moins triviale, en jugeant sévèrement le passé tout en s’exonérant de changer le Présent. Les soldats de France ne mourant qu’au loin, on me raconte que l’Empire sous lequel je vis, est en paix. Il y a les guerres officielles du camp du Bien qui se passent sous d’autres cieux. Sous un déguisement de mouton, il se montre belliqueux en réalité pour des raisons pas toujours avouables. Sur le sol européen, c’est la drôle de guerre, celle sans nom qui dure car les marchands qui nous gouvernent, ne voient pas d’intérêt à combattre un ennemi couard qui au prétexte de la religion, ne tue que des civils. Leur riposte est tiède ! C’est d’ailleurs pour la République, un bon motif pour des lois restreignant plus encore la liberté de la population victime. « On » organise quelques messes républicaines après un massacre, « on » se réjouit d’en empêcher un parfois, et l' »on » réclame le pardon envers les meurtriers au nom de ses valeurs. C’est la particularité d’une guerre moderne bien utile. Après le pouvoir perdu de l’Eglise Chrétienne sur nos corps et nos esprits, il fallait trouver un nouveau moyen de nous rendre dociles. En matière de religion aussi, la nature (humaine) a horreur du vide.

Cher aïeul, sommes-nous alors « meilleurs » de mon temps par rapport au tien dans lequel tu as participé à de si nombreuses campagnes militaires ? Sur le sol de notre pays où tombent des victimes égorgées, nous avons pris l’habitude de déposer un nounours, et de faire brûler quelques bougies. Ce n’est pas une plaisanterie que je te raconte… 

Il y a une grande peur d’affronter la réalité car il nous a fallu subir deux guerres mondiales effroyables au siècle dernier, les colonies se sont instituées nations dans la douleur, et restent à feu et à sang pour beaucoup d’entre elles. Concernant spécifiquement les guerres incessantes en Europe jusqu’à une époque récente, il a semblé préférable de réécrire le passé comme un accident. 

Le nouvel Empire souhaite un roman conforme à l’idée qu’il se fait du bien.Toute discorde doit disparaître au sein de ses Républiques ou monarchies (sans royaume) associées. 

La haine étant circulaire,  il devient difficile d’occulter que de nombreuses voix s’élèvent désormais pour condamner non plus en fonction des faits mais de la couleur de peau. Ce type de questionnement est la dernière tendance, le luxe des pays riches désireux de se créer une bonne conscience au rabais sans rien changer aux inégalités. Envahir ou se faire envahir, c’est le credo triste de l’humanité depuis ses débuts mais bizarrement, seule est soumise à un devoir d’inventaire la catégorie d’humains sortis d’Afrique depuis si longtemps qu’ils en ont perdu leur pigmentation afin de survivre sous un autre soleil. Ce manque de mélamine aurait été compensé par une plus grande férocité, paraît-il. Décolorés par la nature, ce sont aussi les premiers métis grâce à la rencontre d’autres espèces d’hommes sur leur route. Nous l’avons appris, il y a peu. Malgré tout, d’une rive à l’autre, on sait comment faire pour entretenir la colère entre les individus et plus largement entre les peuples. 

L’acte de contrition et les larmes de crocodile sont devenus obligatoires pour la soi-disant race « blanche » avec proportionnellement en retour, un ressentiment qui monte envers les occidentaux ! Ce sentiment fabriqué de toutes pièces par l’oligarchie afin de distraire encore une fois des vrais enjeux, s’est d’ailleurs concrétisé dans une théorie aux allures faussement scientistes encouragée par les plus médiocres. Sans toutes ces machines nous permettant une communication quasi immédiate d’un point à l’autre de la terre, cette propagande n’aurait pas réussi à s’installer. Le martellement est sans cesse ! Le « dirigeant » actuel de notre Répoublique appelle toujours fièrement cela : « déconstruire notre Histoire ». Cette posture quasi religieuse pour rappeler qu’il nous faut expier nos péchés, laisse le peuple nu et sans honneur. Lui-même se prétendant Jupiter, croit lancer des éclairs mais ce sont des pétard mouillés lancés à la face du monde. Comme je te l’ai dit plus haut, le pouvoir est ailleurs. Jupiter n’a pas d’aigle, il a été remplacé par un Caniche gémissant sous les caresses de son maître et aboyeur sur les faibles en échange de sa pâtée.


En fait, « déconstruire notre histoire » (sic), c’est à dire celle de la France, obligerait à une mémoire sélective, une trahison qui ferait bien l’affaire des homards, lesquels à ton époque, avaient si peur de l’Empereur qu’ils le calomniaient sans relâche. Bien que mort depuis deux cents ans, il reste un sujet de fausse plaisanterie de la part de certains ayant décidé de faire oublier les affres de leur propre Empire dans le passé. Aujourd’hui, les niais reprennent à leur compte les fadaises de la propagande englishe. Certains en rajoutent… ils n’hésitent plus à comparer outrageusement Napoléon Bonaparte à Hitler, un Prussien du siècle dernier qui a eu (comme beaucoup) la prétention de conquérir l’Europe sauf que son projet comportait l’élèvation de la « race » soi-disant aryenne ainsi que l’éradication sélective des juifs, des gitans, des homosexuels, des handicapés, des malades mentaux, sans égard pour les enfants envoyés à la mort par la « Science ». Rien à voir donc avec le contexte historique ayant permis la notoriété de Napoléon Bonaparte ! Leur parti pris est louche car il est étonnant de les voir s’extasier par ailleurs sur les conquêtes d’Annibal, Gengis Khan, jules César ou l’Empire de Charlemagne. Ceux-là et d’autres devaient semer sur leur passage, des roses sans doute au lieu de méchantes beignes.

Nous ne sommes plus à une contradiction près… Nous faisons le décompte terrible des morts durant les guerres napoléoniennes mais si « c’est pour la bonne cause », nos armes modernes rasent des villes et leurs habitants en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire ! Le pire à mes oreilles, est d’entendre déblatérer posément sur l’aspect guerrier et conquérent de ton empereur en omettant que sans celui-ci, la République n’existerait pas puisque « la Révolution française » était encerclée par des monarchies impatientes de la mettre en charpie.

Ma mémoire déconstruite, je n’aurai plus de racines alors vite encore, il faut que j’écrive afin de retrouver et garder une infime trace de toi…


Fin de la deuxième partie.